Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a brusquement remplacé son ministre des finances, alors que les divisions au sein du gouvernement s’aggravent en raison des réductions agressives des taux d’intérêt qui ont miné la monnaie et alimenté l’inflation.
Selon un décret publié dans le journal officiel, Lutfi Elvan quittera ses fonctions après un peu plus de 12 mois de mandat et sera remplacé par Nureddin Nebati. Nebati, âgé de cinquante-sept ans, est vice-ministre des Finances depuis 2018 et est considéré comme proche de l’ancien tsar de l’économie Berat Albayrak, gendre d’Erdogan.
La livre turque, qui s’échangeait déjà près de ses plus bas niveaux, s’est affaiblie après l’annonce, dans un contexte d’inquiétudes croissantes concernant les politiques économiques d’Erdogan et la destitution des fonctionnaires qui ne sont pas d’accord avec ses priorités. La monnaie a chuté de 2,1 % jeudi et s’est négociée de 1 % en moins à 13,38 par dollar aujourd’hui.
La récente baisse des taux de la banque centrale soutenue par le président – alors que l’inflation a déjà atteint près de 20 % – a pénalisé les actifs turcs, les investisseurs remettant en question l’approche non conventionnelle de la gestion de l’économie.
M. Elvan, âgé de 59 ans, s’est opposé à la réduction du taux, selon des personnes connaissant bien le dossier. S’exprimant deux jours avant que la banque centrale ne réduise son taux de référence pour le troisième mois consécutif, le 18 novembre, M. Elvan a appelé « chaque institution, dans le cadre de son mandat », à faire sa part pour maîtriser la hausse des prix.
Un jour plus tard, au Parlement, Erdogan s’est adressé aux « amis qui préconisent encore » des coûts d’emprunt élevés. « Je ne peux pas être sur le même chemin que ces » fonctionnaires, a-t-il déclaré. Une photo est devenue virale sur les médias sociaux montrant Elvan ne se joignant pas aux applaudissements du président pendant son discours.
Erdogan met régulièrement en avant son mantra peu orthodoxe selon lequel les coûts d’emprunt élevés provoquent l’inflation au lieu de la freiner.
Avant de devenir ministre des finances en novembre 2020, Elvan a présidé une commission parlementaire supervisant la législation sur l’économie et les budgets du gouvernement central. Il a étudié l’économie à l’université du Delaware et a été ministre sous trois premiers ministres : Erdogan, Ahmet Davutoglu et Binali Yildirim.
La décision de la Turquie de réduire les taux d’emprunt de quatre points de pourcentage depuis septembre a fait passer les rendements des obligations d’État corrigés de l’inflation encore plus bas que zéro, tandis que la croissance des prix à la consommation s’est accélérée pour atteindre 19,9 % en octobre.
La lire a perdu plus de 40 % de sa valeur par rapport au dollar cette année, ce qui en fait la plus mauvaise performance parmi les 31 principales devises suivies par Bloomberg.
Pendant des décennies, le parti AK d’Erdogan, au pouvoir, a fondé son succès électoral sur une croissance économique rapide, souvent alimentée par la réduction des coûts d’emprunt pour favoriser l’expansion du crédit.
Lorsque l’économie s’est contractée pendant la pandémie, le soutien à Erdogan et à son parti a également atteint des niveaux historiquement bas, ce qui l’a incité à redoubler d’efforts pour consolider le soutien de sa base ouvrière.
